Benoît Biteau, paysan agronome

Benoît Biteau, paysan agronome

Bassines en Deux-Sèvres : Un protocole pour officialiser le désert des partages !

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Exemple de maïs population sans irrigation

Texte téléchargeable ici: Bassines-en-Deux.pdf


Bassines en Deux-Sèvres : Un protocole pour officialiser le désert des partages !

Comment peut-on se satisfaire d’un protocole qui, même s’il atténue très partiellement les désastres provoqués par la maïsiculture irriguée, est pavé de pièges, de vœux pieux et surtout d’une absence criante d’approche globale et de vision à long terme ?

D’abord parce que la Préfète des Deux-Sèvres est tombée dans la caricature du débat manichéen : « pour ou contre l’irrigation », dans lequel personne ne se reconnait, mais ayant conduit arbitrairement à exclure du débat ceux qui justement, plus subtils, ne s’opposent pas à l’irrigation, ni même au stockage d’ailleurs, mais exigent que le débat soit posé en respect de la loi sur l’eau, qui dans son premier article rappelle qu’il s’agit d’un bien commun et convoque donc implicitement la notion de partage, lui-même très bien hiérarchisé dans le code de l’environnement qui précise que l’usage de l’eau doit satisfaire, dans l’ordre :

-          1. La fourniture d’eau potable,

-          2. Le bon état des milieux aquatiques,

-          3. L’eau économique, dont l’irrigation n’est qu’une composante.    

Cette situation conduit à revisiter un mauvais projet, comme relevé par la mission du Préfet Bitch, pour tenter de le rendre vertueux sans réelle logique de cheminement pouvant réellement permettre un dimensionnement raisonnable. Soit l’exact inverse d’une procédure efficace basée sur des données objectives et des arbitrages partagés.

Car lorsque l’on se pose réellement la question du partage, en lien avec les fondamentaux de la loi sur l’eau et du code de l’environnement, il apparait très vite que le seul véritable problème pour réussir à respecter ces fondamentaux, est l’irrigation du maïs grain dédié à l’exportation, à fortiori quand on intègre le poids de l’argent public englouti dans ces projets de stockage et via la PAC vers cette production.    

Et à partir de là débute la fuite en avant :

-          1. Basée sur la confusion entre gestion collective et gestion publique, avec des équipements financés par 70 % d’argent public, soit environ 40 millions d’€uros, et gérés par une coopérative de 230 agriculteurs sur les 8 000 connus en Deux-Sèvres, pour irriguer 9 600 hectares, soit un soutien public de près de 175 000 €uros par exploitation, 4 200 €uros par hectare. Avec la même enveloppe, il aurait été possible de financer 60 000 hectares d’ICHN (Indemnité Compensatoire pour Handicap Naturel) pendant 10 ans, ou encore soutenir la conversion à l’agriculture biologique sur 30 000 ha, soit 3 fois plus que ces surfaces irriguées.

Il est utile de rappeler à ce stade que ces mêmes maïsiculteurs ont su négocier, lors de la réforme de la PAC en 1993, une majoration des aides publiques de 50 % supérieure à celles de ceux qui n’irriguaient pas, au motif qu’elle leur permettrait de pouvoir soutenir l’investissement nécessaire aux équipements d’irrigation. Majoration aujourd’hui définitivement installée dans leurs références historiques, voilà donc 25 ans que les grands bénéficiaires de ces nouvelles aides à l’investissement, perçoivent déjà des aides pour ces mêmes investissements. N’y aurait-il pas ici un délit de double financement ? Ne serait-il pas utile d’interroger l’Union Européenne sur ce sujet précis ?      

Pour autant, la gestion publique n’est pas celle retenue (sans vilain jeu de mots !) pour ces équipements.

-          2. Une volonté de substitution totale certes, mais considérant donc que les volumes jusqu’alors mobilisés le sont par les bonnes pratiques agricoles, puisque de réduction, il n’est plus question. Continuons comme avant !  

-          3. L’obligation d’engagements complémentaires dont les ambitions sont la réduction de l’usage de pesticides, alors que les aides publiques sont pourtant 3 fois supérieures à celles attribuées à la conversion à l’agriculture biologique, 5 fois supérieures à celles soutenant le maintien de l’agriculture biologique qui pourtant n’en utilise pas, diversifie ses pratiques et préserve la biodiversité.

Le bilan du Grenelle de l’environnement devrait nous alerter sur les limites de ces engagements volontaires. Les agriculteurs avaient pris l’engagement d’une consommation des pesticides en agriculture divisée par deux dans une phase de transition entre 2008 et 2018. Non seulement l’objectif n’est pas atteint, puisque cette consommation a au contraire augmenté de 12% sur cette période, mais ils ont l’indécence de solliciter une période supplémentaire de 3 ans pour interdire le glyphosate. Comment croire alors en la sincérité de ces engagements volontaires ?

-          4. Et sur le plan qualitatif, le choix d’indicateurs inadaptés comme l’IFT (Indice de Fréquence de Traitement) qui par exemple ne comptabilise qu’une molécule dans les spécialités commerciales qui en comportent plusieurs, contrairement à l’indicateur NODU (Nombre de Doses Unités) nettement plus pertinent mais moins élogieux pour l’agriculture chimique, et imaginé pour rendre plus acceptables des productions réalisées à grand renfort de pesticides, d’engrais de synthèse, de semences certifiées et d’irrigation. Il ne semble donc plus question de les supprimer malgré les fortes enveloppes publiques engagées (bien supérieures à celles du bio !), malgré la priorité à l’eau potable et au bon état des milieux aquatiques pourtant prioritaires et sévèrement dégradés par ces produits de synthèse, mais bien de s’en accommoder alors que les études scientifiques démontrent que ce n’est pas la dose d’exposition qui constitue la dangerosité pour la population, mais l’exposition quelle que soit la dose.

Cette série de fuites en avant illustre également tristement que la lutte contre le changement climatique, pourtant convoqué pour justifier ces équipements de stockage de l’eau et pouvoir s’y adapter, n’est plus d’actualité.

Ces mesures ne sont que de mauvaises réponses pour s’attaquer aux conséquences du changement climatique, plutôt que de s’attaquer frontalement et significativement, avec l’argent public, aux causes.

Cette volonté aurait dû permettre la remise en cause du modèle agricole adossé à ces équipements et aurait pu s’illustrer en :

-          1. Faisant le constat que l’agriculture est le premier contributeur des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines, notamment en raison de sa forte dépendance au pétrole, et en particulier via la fertilisation azotée qui englouti, par hectare de maïs, 350 litres de pétrole avant même d’avoir tourné la clef du tracteur. Créer des équipements, avec de l’argent public, pour des agriculteurs dépendant de ces substances, ne fait que prolonger une activité climaticide.

-          2. Admettant que le maïs produit à grands renforts de pesticides, d’engrais de synthèse et d’irrigation est majoritairement destiné à nourrir des herbivores qui ne mangent plus d’herbe car ils n’ont plus accès aux prairies retournées afin de produire le maïs, complété par le soja venant de l’autre bout de l’Atlantique, pour les nourrir à l’auge 365 jours par an. Système d’élevage qui participe également à l’accélération du changement climatique, à l’origine des perturbations du régime pluviométrique convoquées pour justifier la création de ces bassines. 

Pourtant l’agriculture, qui occupe 70% de l’espace qui nous environne, peut être la solution pour s’attaquer radicalement aux causes du changement climatique. Et sans remettre en cause l’intérêt de l’irrigation pour certaines productions, utiliser l’argent public pour accompagner une véritable mutation des pratiques agricoles, plutôt que de continuer à perfuser celles qui hypothèquent très sérieusement l’avenir des générations futures en dégradant les capacités de la terre (avec un petit t) et de la Terre (avec un grand T) à produire demain, serait certainement nettement plus judicieux.

Avec 40 millions d’€uros d’argent public il est possible d’imaginer que la solution ne soit pas celle, unique et universelle, du stockage mais bien des réponses agronomiques.

En commençant par bâtir un cheminement de décisions de création de stockage participant au soutien des productions nécessitant l’irrigation :

-          1. Recenser les surfaces de productions agricoles à forte valeur ajoutée nécessitant l’usage de l’irrigation, comme les légumes, les fruits, les protéines, l’autonomie alimentaire de nos élevages, etc…. , bien sûr hors maïs grain exporté.

-          2. En déduire les volumes nécessaires pour satisfaire leur irrigation.

-          3. Confronter ces volumes aux volumes prélevables d’été afin d’en dégager l’écart entre ces besoins et ce que peut effectivement fournir le milieu tout en respectant les enjeux eau potable et bon état des milieux aquatiques.

-          4. Si un delta se dégage entre ces volumes disponibles et les besoins d’irrigation pour ces productions, envisager la faisabilité de stockages, dans la limite des capacités du milieu à pouvoir les remplir, totalement financés par des enveloppes publiques pour garantir la gestion publique de l’eau.

Un tel cheminement aurait permis une adhésion plus certaine à ces projets de stockage.

Concernant le maïs, il existe une alternative : le maïs population. Un écotype issu d’une sélection convergente des hommes et du milieu, qui donc se développe sans irrigation avec des niveaux de productivité remarquables et des teneurs en protéines élevées atténuant la dépendance aux protéines importées, permettant par ailleurs aux producteurs de retrouver leur autonomie génétique et semencière. N’est-ce pas l’accompagnement de ces logiques, permettant par ailleurs un meilleur revenu aux producteurs, qui devraient faire la priorité de l’accompagnement public ?

Enfin, dans une logique d’approche globale et de vision à long terme, afin de sortir de cette fuite en avant qui ne fait que différer, votre aggraver une issue climatique désastreuse, n’est-il pas plus responsable d’orienter l’engagement de l’argent public dans le soutien de véritables réponses, celles qui s’attaquent aux causes ? Et ces réponses sont rassemblées dans une science : l’agronomie !

-          1. Agronomie qui permet de limiter, réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre, en adoptant des pratiques moins dépendantes du pétrole, donc des pesticides et des engrais de synthèse, en adoptant des pratiques d’élevages qui nourrissent des herbivores avec de l’herbe et qui donc entretiennent des prairies, zones de séquestration du carbone, mais aussi de stockage naturel et d’épuration de l’eau.   

-          2. Agronomie, qui débarrassée des pesticides et des engrais de synthèse, permet de redonner la vie au sol et donc fait des sols agricoles, qui occupent 70% de l’espace, des zones engagées contre le changement climatique, loin, très loin de ceux utilisés pour produire du maïs.

-          3. Agronomie, qui en ambitionnant l’augmentation de 4 pour 1000 le taux de matière organique des sols agricoles (facilement accessible si arrêt de l’usage de substances de synthèse) permet de séquestrer 80% de la totalité des émissions de gaz à effet de serre liés aux activités humaines. Une solution qui permet, non pas de s’adapter au changement climatique, mais de s’engager dans l’atténuation du changement climatique. Et plus les sols sont riches en matière organique, plus les sols stockent de l’eau pour hydrater les plantes. Dynamique vertueuse exactement inverse à celle, vicieuse, constatée sur les sols maïsicoles qui s’appauvrissent sévèrement et qui nécessitent donc l’usage massif d’irrigation.

Quelle déception que cette vision holistique, systémique, n’est pas siégé aux prises de décisions de cette commission préparant ce protocole d’accord.

Quelle perspective inquiétante pour le reste des territoires concernés par des projets de bassines, si cette méthode détestable qui tente de « greenwacher » de très mauvais projets, créé un précèdent, et est généralisé sur l’ensemble des bassins versants.   

Et pour conclure dans une approche globale, intégrant une gestion responsable de la ressource en eau, de la source à la mer, œuvrer, avec l’argent public, en direction des zones humides, zones d’épuration et de stockage naturels plutôt que vers le stockage artificiel.

Constater que les pollutions retrouvées en mer sont pour 80% d’origine terrestre et très majoritairement d’origine agricole.

Intégrer que nous ne réussirons pas à porter des ambitions élevées en mer, tant qu’elle restera la fosse septique de l’agriculture chimique. Et pourtant une mer en bon état porte aussi des espoirs d’atténuation du changement climatique. Le modèle agricole dominant nous inflige donc la double peine en effaçant les capacités des sols agricoles et des espaces marins à pouvoir séquestrer des gaz à effet de serre. Et sont soutenus dans ces pratiques mortifères par l’argent public, dont les dégâts, quand ils réparables, sont aussi supportés par les impôts des contribuables. Quand donc vont cesser ces logiques qui nourrissent ce cercle vicieux, assassin pour l’avenir des générations futures ?

Je terminerai mon propos en invitant mesdames et messieurs les préfets concernés par ces équipements, dans une approche globale intégrant le lien terre-mer, à soumettre ces projets qui impactent la bonne gestion quantitative et qualitative de l’eau qui arrive en mer, à l’avis conforme du Parc Naturel Marin de l’estuaire de le Gironde et des pertuis charentais, dont le conseil de gestion rassemble une grande diversité d’acteurs. Une façon de donner du sens, de donner une réalité de validation large de vos propositions, pour pouvoir dignement justifier l’appellation de « Projet de territoire ». 

Benoit BITEAU

Conseiller Régional Nouvelle-Aquitaine - Délégué à la Mer
Président du groupe « Les Radicaux de Gauche »
Président du Conservatoire des Espaces Naturels de Poitou-Charentes

Membre du Conseil Maritime de Façade Sud Atlantique & Président de la Commission Mixte « Lien Terre-Mer »
Membre du Conseil de gestion du Parc Naturel Marin Estuaire de la Gironde et Pertuis Charentais

Membre du Comité de Bassin de l'Agence de l'Eau Loire-Bretagne

Paysan agronome bio
Ingénieur des Techniques Agricoles
Conservateur du Patrimoine Technique, Scientifique & Naturel
Lauréat 2009 du Trophée National de l'Agriculture Durable


benoit.biteau@nouvelle-aquitaine.fr

http://groupes-politiques.laregion-alpc.fr/PRG/
https://www.facebook.com/PRGALPC/?ref=ts&fref=ts



04/12/2018
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